Loin du fracassant succès mondial de Star Wars 7 et des querelles de bac à sable entre Superman et Batman, un petit film indépendant a fait son chemin à l’ombre des blockbusters, sans que personne ne l’ait vu venir. Couronné par l’Oscar du meilleur long-métrage en février dernier, le film Spotlight a fait l’effet d’un séisme : l’épicentre en fut discret, mais les répercussions s’en font encore sentir.
La vérité, toute la vérité, rien que la vérité
Face à l’ampleur des révélations qui s’enchaînent au cours de la projection, le spectateur serait tenté d’en douter, mais l’histoire du film Spotlight est absolument authentique. En 2002, les reporters du Boston Globe ont mis au jour un vaste réseau de pédophilie au sein de l’Église catholique, après une enquête qui a duré douze mois.
Le soin en fut laissé à une équipe chevronnée de journalistes d’investigation, appelée Spotlight – d’où le titre. Tour à tour, les reporters de cette brigade de choc ont rédigé article après article, jusqu’à compléter une enquête qui a remporté, en 2003, le prix Pulitzer. Les articles sont disponibles (aux anglicistes) sur le site du Pulitzer.
Spotlight s’inscrit dans une riche tradition d’œuvres américaines sur le monde de l’investigation. Qui a oublié Les Hommes du Président sur les deux reporters du Washington Post révélant le scandale du Watergate ? C’est d’ailleurs l’un des films, avec Le Verdict (de Sidney Lumet, avec Paul Newman) et Révélations (de Michael Mann) que le réalisateur, Tom MacCarthy, a montré à son équipe.
Peu connu en France, McCarthy avait été révélé comme metteur en scène par The Visitor, qui avait obtenu le Grand Prix au festival du film américain de Deauville en 2008. Les plus attentifs savent que l’homme est également acteur, et qu’il a notamment participé à la 5e saison de la série Sur écoute de David Simon… dans le rôle d’un journaliste !
Pas de film Spotlight sans une recherche d’authenticité
Afin de coller au mieux à la réalité, Tom McCarthy a tourné dans des décors authentiques : bibliothèque municipale de Boston, université McMaster (où se déroule une scène clé, lorsque Walter Robinson parlemente avec des anciens camarades d’études qui préféreraient qu’un article contre l’Église ne paraisse jamais), et bien sûr dans les bureaux du Boston Globe, à Dorchester.
Par ailleurs, l’équipe du journal a été sollicitée sur tous les aspects du film Spotlight : pour le scénario, les acteurs, les décors et jusqu’aux costumes portés par les avatars cinématographiques des vrais journalistes.
Quant au script, sa rédaction a pris deux années, durant lesquelles le scénariste Josh Singer (la série À la Maison Blanche, le long-métrage Le Cinquième pouvoir – sur Julian Assange) a travaillé en collaboration avec Michael Rezendes, l’un des membres de Spotlight. Il a ensuite été rejoint par McCarthy qui a réécrit le script. Leur travail a été récompensé par l’Oscar du meilleur scénario original.
Un casting impeccable
L’authenticité passant surtout par le jeu des comédiens, il fallait réunir un casting impeccable (à voir au complet ici). En voici les principaux représentants :
- Michael Keaton joue Walter Robinson, le chef de l’équipe Spotlight.
- Mark Ruffalo, Rachel McAdams et Brian d’Arcy James interprètent les rôles des reporters de Spotlight (respectivement Michael Rezendes, Sacha Pfeiffer et Matt Carroll).
- John Slattery incarne Ben Bradlee Jr., le directeur de la publication.
- Liev Schreiber endosse le costume de Marty Baron, le nouveau rédacteur en chef, tout frais débarqué à Boston ; c’est lui qui met sur la table le sujet du silence de l’Église dans le cadre d’actes de pédophilie, une manière de relancer les ventes du journal, en chute libre, avec une affaire d’envergure.
- Stanley Tucci et Billy Crudup se sont glissés dans les costumes des avocats Mitchell Garabedian et Eric MacLeish.
Sublimes jusqu’aux seconds rôles, les comédiens ne se contentent pas de contribuer au déroulement du récit : ils sont le récit. La subtilité de leur travail est appuyée par une mise en scène qui les observe souvent de loin, rarement de très près, comme pour laisser un maximum de champ à leurs expressions corporelles. Et pour rappeler, aussi, qu’il n’y a pas de héros individuels dans le film Spotlight, mais une équipe.
Avec celle de Mark Ruffalo, on doit l’interprétation la plus réussie à Michael Keaton, décidément l’acteur le plus sous-estimé de sa génération. On n’en voudra pas à DiCaprio d’avoir enfin raflé la statuette de meilleur acteur, mais on regrettera que pour la 2e année d’affilée Keaton soit passé à côté d’une récompense qu’il a inexplicablement ratée l’année passée pour Birdman.
Derrière la douceur, une violence inouïe
Au fil de son déroulement, l’enquête relatée par le film Spotlight déploie deux vérités intrinsèquement liées : d’une part, les mensonges des plus hautes instances de l’Église catholique. Le cardinal Bernard Law, à la tête de l’archidiocèse, a consciemment étouffé des actes de pédophilie engageant des prêtres (plus de détails sur cette histoire vraie dans cet article).
D’autre part, l’ampleur du système qui a permis cette entreprise de dissimulation. Non seulement ces actes n’étaient pas ponctuels, puisqu’on découvre qu’ils impliquaient plusieurs dizaines de prêtres. Mais en outre, l’Église a travaillé en collaboration avec des avocats pour négocier le silence des familles d’enfants abusés en échange d’indemnités élevées.
Tout cela, le film Spotlight nous le montre avec une douceur feinte. La subtilité de la mise en scène de McCarthy et la froideur apparente du style narratif ne peuvent pas dissimuler complètement les fissures qui se font jour dans la réalité. Car, derrière l’objectivité de façade du journalisme, c’est une violence inouïe qui s’ébroue dans les profondeurs.
Si Spotlight est virulent, c’est dans ce qu’il décrit d’un système de non-dits, de silences, d’hypocrisies, forgé de toutes pièces par les plus hautes instances morales. Une violence qui a été consciencieusement déguisée sous les atours de la bienveillance. Voyez le sourire impassible de l’avocat Eric MacLeish, sentez tout ce qu’il a de faux et de sournois.
Le film Spotlight est un séisme, oui, mais un séisme indolore. Sans publicité écrasante, sans produits dérivés à la Star Wars, il s’impose par ses qualités propres et subtiles : art du récit et de la mise en scène, découpage réduit au minimum, casting tutoyant la perfection. Et un sujet qui, sans le dire, s’insinue dans le cerveau du spectateur et ne le lâche plus jamais. La marque des grands films.